André Gide est un écrivain français qui a su marquer les esprits avec certaines de ses œuvres. Il commence par écrire des romans symbolistes et fait la connaissance d’autres écrivains de ce même courant comme Mallarmé, Valery, Claudel… En 1893, il se sépare des symbolistes et adopte un nouveau style d’écriture. En 1908, il va créer la Nouvelle Revue Française qui a pour but de défendre une littérature libérée des mouvements littéraires ou politiques. Il aborde plusieurs thèmes dans ses livres comme en 1924 dans son œuvre, Le Corydon, il fait l’éloge de l’homosexualité. En 1919, il commence à rédiger Les Faux-Monnayeurs et le termine en 1925 puis, deux ans plus tard, il publie Le Journal des Faux-Monnayeurs. Le roman fait polémique à sa sortie, il y a diverses réactions et interprétations comme celle de l’écrivain et critique, René Gillouin, qui a caractérisé Gide comme étant « un beau monstre, mais un monstre ». D’ailleurs, le roman de Gide a une part sombre puisque l’on retrouve quelques situations sinistres et l’on peut caractériser certains des personnages comme étant des monstres. Il faut savoir que dans la littérature, un monstre est une créature dont l’aspect ou le comportement surprend car il n’est pas en accord avec les normes de la société. Nous pouvons donc nous demander comment Gide présente le monstre. Dans une première partie, nous verrons les différents personnages monstrueux. Puis dans une deuxième partie, nous nous intéresserons à des personnages que l’on caractériserait comme étant des monstres ordinaires.
Dans Les Faux-Monnayeurs, il n’est pas question de monstre imaginaire. Il s’agit d’une réalité fictive et Gide met en avant les images du monstre à travers certains de ses personnages qui sont des humains. Ces personnages ont une part sombre, ils commettent des choses qui choquent obligatoirement le lecteur. Gide souhaite nous montrer des situations, des personnages qu’il qualifierait de monstrueux et il le fait paraître dans son roman avec certains de ses protagonistes.
Nous avons tout d’abord, Vincent Molinier qui, au début, était juste un jeune homme fasciné par les sciences. Dans le roman, il est au cœur de deux intrigues sentimentales : d’une part, il y a l’histoire d’adultère avec Laura Douviers et d’autre part l’histoire sinistre avec Lady Griffith. Il va faire la connaissance de cette dernière par l’intermédiaire du Comte de Passavant et ils vont devenir amants. On ne peut pas encore le savoir mais le Comte de Passavant qui est censé être l’ami de Vincent vient tout juste de laisser le démon s’emparer de Vincent : « Le démon n’attaquait pas Vincent de front ; il s’en prenait à lui d’une manière retorse et furtive » (p. 156-157 du roman). Vincent est jeune, il est encore naïf et Lilian Griffith va profiter de cette naïveté. Elle va lui apprendre que dans la vie on ne peut compter que sur soi-même. Gide ne s’attarde pas beaucoup sur eux : il y refait allusion vers la fin du livre et on apprend que les deux amants sont partis en croisière en Afrique. Vincent semble avoir beaucoup changé : il a plus de prestance et d’assurance et cela grâce à Lilian. Dans le Journal des Faux-Monnayeurs (p.24-25), Gide nomme les cinq étapes par lesquelles passe Vincent. En premier lieu, il veut aider Laura pour “couvrir une vilenie”, puis il perd l’argent qu’il lui devait au jeu et il a un “besoin urgent de la grossir” (c’est à dire de retrouver de l’argent), ensuite il renonce au fait d’aider Laura et se laisse sombrer dans les folies du jeu. Remarquant le changement de ce dernier, Lilian et lui ont fini par se haïr. N’ayant plus besoin d’elle, il va s’en débarrasser lors de leur croisière et la tuer. Nous pouvons donc voir que Vincent a évolué et il est passé du jeune homme rationaliste à un démon. Si il n’avait pas rencontré Lilian, peut-être qu’il ne serait pas devenu ce qu’il est : un monstre. Il est devenu dépendant du jeu d’argent et il a fini par suivre le conseil que lui a donné Lilian, conseil qui s’est retourné contre elle et qui a provoqué sa mort. Vincent a compris qu’il ne pouvait compter que sur lui et il se débarrasse des personnes qui le gênent. A la fin du roman, on apprend qu’il est toujours en Afrique.
Toujours dans le roman, il y a un autre moment qui représente une image monstrueuse. Nous sommes vers la fin du livre et il s’agit du moment où Boris, poussé par ses camarades, va se suicider en classe et devant son grand-père. Cette scène horrible est inspirée de faits réels et nous apprenons, dans le journal, que le garçon en question s’appelait Nény. Boris représente une des visions tragiques de l’enfant et de l’adolescent que Gide met en évidence. Ce thème qu’il aborde est le plus dramatique de son roman. Gide utilise cette vision de Boris pour montrer l’influence que peuvent avoir les enfants entre eux et la “sensibilité en faiblesse” de certains (p.87 du journal). Parmi les enfants qui ont poussé Boris au suicide, il y a Léon Ghéranisol, Philippe Adamanti et Georges Molinier. Ces enfants font partis d’un groupe appelé « La Confrérie des Hommes Forts », elle fut créée afin qu’ils trouvent une autre occupation puisqu’ils ne peuvent plus s’amuser à vendre de la fausse monnaie. De plus elle est créée aussi pour ne pas y admettre Boris. Ces trois garçons représentent bien l’image du monstre : ils sont censés être des enfants et ne devraient donc pas avoir de mauvaises pensées mais ici, ce n’est pas le cas. Ils forcent le jeune Boris à se suicider alors que ce dernier n’avait rien commis et il risquait d’être considéré comme un lâche si il refusait et donc de se faire renvoyer de leur petit groupe, leur devise étant « l’homme fort ne tient pas à la vie ». Cela choque assez le lecteur puisque l’on ne s’attend pas à ce que des enfants commettent ce genre de monstruosité. De plus, ces enfants savent garder leur sang-froid car ils ne réagissent pas lorsqu’ils voient le corps de leur camarade. Ce n’est qu’après un court instant que deux d’entre eux réalisent ce qu’ils viennent de faire : Georges va réaliser jusqu’où lui et ses amis sont allés. Une fois chez lui, il va se réconforter dans les bras de sa mère et cette dernière sent que les choses vont changer à partir de cet instant : « Pauline eut un élan de reconnaissance vers Dieu, qui, par ce drame affreux, ramenait à elle son fils » (p.417 du roman).
Dans le roman, Gide nous montre diverses images du monstre, cependant certaines d’entres elles sont exagérées. En effet, Gide nous fait part de situations que l’on peut retrouver dans notre quotidien mais il fait en sorte que le lecteur éprouve du dégoût et de l’antipathie pour ces auteurs. Dans ces cas-là, nous pouvons parler de monstre ordinaire, c’est à dire des personnes qui commettent des vices du quotidien et dont le fait n’est pas monstrueux.
Tout d’abord nous pouvons parler d’Oscar Molinier, il est le père d’Olivier, de Vincent et de Georges. Dans le roman on apprend qu’il trompe sa femme cependant cette dernière semble être au courant des agissements de son mari infidèle mais elle préfère ne rien dire afin de préserver sa famille. Pauline Molinier se soucie beaucoup de l’équilibre de sa famille, ce qui fait d’elle une femme forte et une mère dévouée. Contrairement à sa femme, Oscar Molinier ne semble pas se soucier de sa situation familiale et des conséquences de ses actes: un aspect que Gide souhaite mettre en avant dans son roman. De plus, Oscar Molinier n’hésite pas à parler de ces histoires adultères avec Edouard alors qu’il est le demi-frère de Pauline Molinier : il n’a aucun respect, aucun honneur et ne pense qu’à ses plaisirs personnels. La façon dont Gide nous présente le personnage d’Oscar avec ses manières, nous amène à détester ce dernier, à en être dégoûté et voire à le trouver monstrueux car il est égoïste: « j’en ai connu qui se prêtaient à leur mari qu’à contrecœur, qu’à contre-sens… et qui pourtant s’indignent lorsque le malheureux rebuté va chercher ailleurs sa providence. Le magistrat avait commençait sa phrase au passé ; le mari l’achevait au présent.» (p.250 du roman). Gide s’attaque au rôle du père dans le roman et dans la famille, il dénonce de nombreuses conventions sociales comme le modèle traditionnel de la famille reposant sur un père fort et une femme aimante. Ici, nous sommes dans un monde d’apparence et d’hypocrisie et c’est ce qui rend le roman un peu plus sombre. On peut remarquer cependant que les personnages de Gide sont très cultivés et au courant de l’actualité. Tous ces protagonistes ont un air de famille : ils sont tous parisiens et chrétiens : pourtant, une grande majorité d’entre eux, commettent des péchés plus ou moins graves. Gide veut montrer que personne n’est parfait et que ce n’est pas parce que l’on appartient à une religion, que l’on est pour autant irréprochables : tout le monde possède des défauts, les personnages de Gide les premiers et les caractères de ces derniers sont issus de l’auteur (de la personnalité gidienne).
Nous revenons sur le cas de Vincent Molinier, sur son intrigue sentimentale avec Laura Douviers : cette dernière est utilisée par Gide pour illustrer la complexité de l’amour. En effet, elle éprouve des sentiments partagés pour Edouard mais il choisit Olivier et pousse Laura vers Félix Douviers : elle l’épouse sans amour. Elle a une liaison avec Vincent, elle tombe enceinte de lui mais il l’abandonne pour Lady Griffith. Bernard Profitendieu va aimer d’un amour platonique Laura puis d’un amour charnel sa sœur cadette, Sarah. A part son mari, tout le monde tourne le dos à Laura, peut être est-ce une sanction de la part de Gide pour sa fragilité, sa naïveté et son infidélité (ce qui est assez contradictoire vu que Gide va lui-même tromper sa femme). André Gide met l’accent sur le cloisonnement de l’amour, son côté parfois malsain voire tragique. Nous voyons ici, le changement de Vincent d’homme naïf à monstre. Au début, Vincent veut aider Laura en lui promettant de l’argent, argent qu’il perd au jeu. Il était de bonne volonté mais influencé par Passavant et Lady Griffith, il finit peu à peu par abandonner Laura alors qu’elle est enceinte de lui. Il renie son enfant et ne veut pas assumer le rôle de père, il préfère vivre une histoire plus libre avec Lady Griffith. Lorsque Laura apprend cela, elle est anéantie : « Vous n’avez plus le droit de m’abandonner à présent. Que voulez-vous que je devienne ? Où voulez- vous que j’aille ? Dites-moi quelque chose. Oh ! Parlez-moi » (p. 40 du roman). Gide donne un côté pathétique à Laura afin d’accentuer le côté lâche de Vincent, elle le supplie et ce dernier ne prend même pas la peine de lui répondre : « Et lui, il ne répondait rien ? » (p.40 du roman). Ce qu’a fait Vincent à Laura est une chose ignoble, mais Gide n’exagère-t-il pas trop ? Certes abandonner une femme enceinte est une chose effroyable comme le fait de renier son fils. Mais dans la suite du roman nous remarquons que Laura est aidée par Bernard et Edouard; que son mari est prêt à lui pardonner son infidélité et à accepter le bébé. De plus Vincent est jeune et à ce moment-là il est encore naïf et irresponsable. Gide accable Vincent alors que l’on a pu lire que Laura n’était pas vraiment seule: il n’a juste pas assumé ses actes, cela ne fait pas de lui un monstre.
Pour conclure, on constate que les images du monstre se développent sous plusieurs formes, allant d’une critique de la société aux personnages eux-mêmes. Nous avons pu lire dans le roman qu’il y a plusieurs intrigues et que dans certaines Gide met en scène des situations, des comportements monstrueux liés au manque d’amour et à la famille. On peut voir dans son roman que l’amour pousse certains personnages au crime et sont transformés en monstres. Gide nous donne sa vision du monstre mais chacun possède son propre point de vue et cela dépend de nous.
Lise, Maelys, Lola J.
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