Son nom provient du grec ancien Σφίγξ / Sphígx, dont l’étymologie n’est pas assurée. Le rapprochement que les Grecs faisaient avec le verbe σφίγγω / sphíggô, signifiant « étrangler », est une étymologie populaire qui ne repose sur rien ; la forme originelle est peut-être Φίξ / Phíx, utilisée chez Hésiode. Le mot grec est féminin, ce qui explique les transcriptions anciennes « Sphinge » ou « Sphynge ». Si l’usage français a retenu le masculin pour le mot commun, la désignation de nombreuses statues étrusques utilise la forme féminine. Ainsi, on ne sait comment on doit le désigner: entre sphinx et sphinge, qui suis-je? Telle est la question…alors doit-on l’appeler sphinx ou sphinge? Pour répondre à cette question nous étudierons la représentation de cette créature dans l’œuvre d’Œdipe-Roi: dans une première partie l’originel, celle de Sophocle ; puis, dans une seconde partie l’adaptation cinématographique de Pasolini ; enfin, nous comparerons dans une dernière partie les deux représentations de la créature de ces deux célèbres auteurs.
I- Œdipe-Roi de Sophocle
a) Le Mythe d’Oedipe
Suite à la prophétie annoncée par Tirésias prédisant que le futur enfant de Laïos, roi de Thèbes et de sa femme, Jocaste, allait tuer son père et épouser sa mère, les parents décident de se débarrasser du nouveau-né qui fut recueilli par Mérope, roi de Corinthe. Une fois adulte, il apprend qu’il a été un enfant adopté et décide donc d’aller retrouver ses véritables parents en partant interroger l’oracle de Delphes. Cependant, la découverte de la prophétie le laisse pantois et il préfère ne pas rentrer chez lui à Corinthe, craignant de tuer son « père ». Toutefois, il croise la route de Laïos et le tue après une violente dispute. Plus loin, il rencontre la Sphinge qui ne cesse de terroriser les Thébains en leur soumettant des énigmes auxquelles ils ne peuvent répondre, pour ensuite les dévorer après leur échec. Contrairement aux autres, Œdipe réussit à résoudre son énigme, faisant fuir la Sphinge sur le haut d’un rocher et pour le remercier, le peuple de Thèbes lui donne la main de Jocaste comme récompense. Ainsi, la prophétie se réalise: celle de tuer son père et d’épouser sa mère, ainsi que d’engendrer des enfants avec cette-dernière.
b) Évocation de la Sphinge
Contrairement aux autres dramaturges, Sophocle n’évoque pas la Sphinge comme un monstre hybride mais plutôt comme une « diseuse de vers » ou une « horrible chanteuse » dont le langage obscur et le chant maléfique furent interrompus grâce à la perspicacité d’Œdipe. Dans l’œuvre, son évocation est très brève car déjà Œdipe se retrouve au pouvoir à Thèbes. Néanmoins, plusieurs personnages en parlent, à commencer par le prêtre, puis Créon et enfin Œdipe lui-même et Tirésias lors d’une discussion houleuse où Œdipe ne cesse de lui rappeler ce qui a fait de lui un héros à Thèbes :
« ŒDIPE. – Quels parents ? Reste là. De qui suis-je le fils ?
TIRESIAS. – Ce jour te fera naître et mourir à la fois.
ŒDIPE. – Tu ne peux donc user que de mots obscurs et d’énigmes ?
TIRESIAS. – Quoi ! Tu n’excelles plus à trouver les énigmes ?
ŒDIPE. – Va, reproche-moi donc ce qui fait ma grandeur.
TIRESIAS. – C’est ton succès pourtant qui justement te perd. »
Ainsi, le Sphinx prend des allures de femme et apparaît ainsi comme une Sphinge, que Œdipe n’a pas eu de mal à écarter de sa route. D’ailleurs il ne se gêne pas pour le rappeler avec une certaine arrogance lors de sa discussion avec le prophète d’Apollon, Tirésias. Cependant, le portrait de cette créature n’est pas toujours le même, voire complètement différent, comme chez Pasolini.
II- « Œdipe-Roi » de Pasolini
a) Portrait physique du sphinx
Il est très difficile de décrire le Sphinx de Pasolini. En effet, dans son film (intitulé du même nom que Sophocle: Edipo Re, version italienne d’Œdipe Roi, ), le personnage porte un très grand masque « africain » de couleur noire avec des boules blanches qui forment le « visage » de la sphinx. De plus, ce masque est surmonté de nombreux fils qui forment la chevelure de la créature. Ce masque cache la totalité du haut de son corps. De surcroît, la Sphinx possède des jambes humaines ainsi que des sandales avec à ses chevilles des fils, identiques à ceux utilisés pour les cheveux, cachant ses pieds. Alors, chez Pasolini, le sphinx serait-il donc un homme? Possible, mais cela n’est sûrement pas anodin puisque l’énigme du Sphinx de Pasolini n’est pas du tout la même que celle du mythe originel.
b) Relation avec Oedipe
En effet, bien que se basant sur le mythe d’Œdipe de Sophocle, Pier-Paolo Pasolini donne une vision différente de cette créature. Là où Sophocle décrit une créature mythologique mi-femme mi-animale, le Sphinx de Pasolini n’est rien de plus que le subconscient d’Œdipe, son autre lui qu’il réfute ; mais pourtant Œdipe est conscient que cette créature est en lui. C’est en tout cas ce que laisse penser Pasolini lors du dialogue entre le Sphinx et Œdipe:
« LE SPHINX. – Une énigme assombrit ta vie. Quelle est-elle ?
ŒDIPE. – Je ne veux pas le savoir, je ne veux pas le savoir. »
Il fait basculer le Sphinx dans l’abîme.
« LE SPHINX. – Cela ne sert à rien, l’abîme est en toi. ».
Par ce dialogue, Pasolini nous donne une nouvelle vision du mythe: le Sphinx n’est ni plus ni moins que la partie rationnelle d’Œdipe qui en a peur car ce dernier connaît la vérité sur sa vie. Il décide donc de « plonger dans l’abîme », au plus profond de son âme, cette partie de lui pour ne pas avoir à affronter ses erreurs mais puisque le Sphinx est une partie d’Œdipe, celle-ci ne disparaîtra jamais, restant cloîtrée en lui jusqu’à ce que le destin force Œdipe a accepter ses actes, à savoir le fait d’avoir tué son père et d’avoir épousé sa mère en plus de commettre l’inceste avec cette dernière.
III- Comparaison des deux créatures
a) Ressemblances
Tout d’abord, la créature qui apparaît dans Œdipe Roi de Sophocle est une Sphinge, qui est une créature représentée comme un être hybride, mi-humain, mi-bête, avec une tête et un buste de femme sur un corps de lion pourvu d’une paire d’ailes de rapace et d’une queue de serpent. Même si cette description n’est pas présente dans la pièce de Sophocle, on peut très bien l’imaginer comme cela, car elle est désignée par des termes féminins comme ”chanteuse” ou encore ”diseuse”. Par ailleurs, ces termes nous montrent que cette créature est très sournoise, d’où le fait qu’elle est dans l’œuvre, la ”clé” pour entrer dans Thèbes. Et cette ”clé” est allégorisée par l’énigme qu’elle pose, énigme que tout le monde connaît, même si Sophocle ne l’énonce pas ( « Quel être, pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes le matin, puis deux jambes le midi, et trois jambes le soir? » ).
b) Différences
Le Sphinx de Pasolini est comme une version inversée de la Sphinge. Effectivement, la tête est apparemment située en bas, entre les jambes laissant entrevoir une bouche sûrement pour dévorer ses victimes, chose qu’elle a en commun avec la Sphinge (de Sophocle).
De plus, si la Sphinge pose une énigme dans la pièce de Sophocle, dans le film de Pasolini, il n’y en a pas. Il y a tout simplement une question, qui pour le lecteur est rhétorique (car ce dernier connaît déjà l’intrigue, et même le mythe d’Œdipe). Par ailleurs, si le Sphinx apparaît comme la partie sombre d’ Œdipe dans le film, elle apparaît comme un obstacle à franchir dans la pièce de théâtre de Sophocle.
Conclusion:
Ainsi, malgré le fait que les deux oeuvres partagent le même titre, la créature emblématique de ce mythe apparaît différemment dans l’une comme dans l’autre de par son aspect, mais aussi ses caractéristiques et paroles. On peut donc conclure que le Sphinx de Pasolini est une nouvelle conception de cette créature.
Enfin, cette créature ne va pas sans nous rappeler la célèbre créature égyptienne, mais qui est cette fois-ci avec une tête de pharaon et un buste d’homme, donc un mâle, nommé ἄνδροσφιγξ l’androsphinx.
LAKERMANCE Anaelle, PAYA Éloïe,THEMYR Anne-Laure
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super interessant, merci !
très intéressant !
Merci, cela m’a beaucoup aidé pour ma présentation en cours de latin. Nous devions comparer une œuvre moderne et une œuvre antique traitant d’un animal fantastique.