Les Faux-Monnayeurs est une histoire qui mêle un grand nombre d’intrigues. Tout commence lorsque Bernard Profitendieu découvre à travers une lettre que son père n’est pas son père biologique. On découvre ensuite différents personnages tout au long du périple de Bernard. L’histoire centrale est celle de trois personnages, Bernard et Olivier, deux amis lycéens ainsi qu’Édouard, oncle d’Olivier et écrivain désireux de créer un roman unique et innovant. Dans ce roman on retrouve un grand nombre de lieux, qui sont cependant très peut décrits par l’auteur. Cela nous amène à nous demander quelles sont les réelles significations des lieux évoqués dans les FM et pourquoi ils sont importants pour l’histoire. Tout d’abord, nous allons voir ce qu’il se passe du côté de Paris et de Luxembourg et comprendre pourquoi ces lieux ont une importance centrale dans le roman. Puis nous nous pencherons sur le cas de la Suisse et de la Corse pour voir en quoi ces lieux sont opposés à Paris et sont pourtant nécessaires à la suite de l’histoire. Nous verrons ensuite quels sont les autres lieux évoqués.
D’après Pierre Chartier (un professeur de lettres émérite) on peut dire que ” l’ordre du récit, de Paris à Paris, en passant par la Suisse, signale la centralité de la capitale française, lieu ou se noue le faisceau rompu d’intrigues qui constituent le roman. Gide, grand voyageur, est dans les Faux-Monnayeurs naturellement parisien.”
Il y a un grand nombre d’opposition lors de la présentation de la ville. On retrouve cela entre le 6ème et le 7ème. Le 6ème est un quartier intellectuel (lycées, théâtre de l’Odéon) par opposition au Faubourg Saint-Germain qui est un quartier résidentiel de luxe. Il y a également la présence de deux hôtels, celui de Laura, rive gauche et celui de Bernard, sur la rive droite de la Seine, cette position de ces hôtels est sans doute une séparation voulue entre Bernard et Laura. De plus on retrouve différentes atmosphères selon les lieux qui sont parfois mis en parallèle dans Paris. Par exemple, pendant que Vincent se rend chez Lilian qui est un lieu plutôt luxueux, nous avons d’un autre coté Laura qui se morfond dans “une triste chambre d’hôtel”. L’auteur joue donc sur des oppositions de lieux, et de quartiers car Paris est une ville qui possède une diversité en terme d’endroits et de milieux sociaux.
On peut donc dire que les deux pôles fondamentaux dans l’œuvre de Gide sont Paris et « hors-Paris ». Paris est alors un lieu qui s’oppose à l’extérieur, c’est-à-dire aux autres endroits mentionnés dans le roman comme la Corse ou la Suisse. C’est dans la capitale que doivent se résoudre les problèmes créés à l’extérieur. On voit par exemple que Laura et Vincent reviennent de Pau pour résoudre leurs difficultés. De plus Laura fait appel à Édouard à Paris et celui-ci la rejoint. Nous avons également Douviers qui vient aussi à Paris “pour se battre en duel avec le séducteur”. Tout semble donc converger vers Paris, cette cité permet la rencontre de tous. Paris est donc bien le lieu « principal » de ce roman.
D’autre part, on peut aussi dire que le Luxembourg est bien au cœur de l’œuvre. Tous les lieux du 6ème arrondissement où vivent les personnages se distribuent aux alentours du parc. On a les appartements des Profitendieu, des Vedel Azaïs et des Molinier qui sont tous placés autour de ce parc. C’est aussi un lieu de rencontre pour les lycéens qui viennent échanger. Ce lieu peut être vu comme le symbole de l’apprentissage. On retrouve au début du roman cet endroit lorsque Bernard rejoint son ami Olivier pour lui demander de l’héberger. (I.1) Ce n’est pas un hasard si Bernard rencontre ensuite l’ange qui l’aidera à se donner une règle de vie dans le jardin du Luxembourg ( III.13). On peut donc se dire que le jardin du Luxembourg représente ici une révélation d’ordre intellectuel pour le personnage de Bernard, ce qui renforce son importance dans le roman. Enfin, Édouard choisit ce lieu pour parler avec Douviers ou avec M. Molinier. Il semble donc être une sorte de terrain “neutre”, un lieu naturel de rencontre ou de repos mais aussi de discussion. Pour terminer, ce lieu est cité à plusieurs reprises dans le Journal des faux-monnayeurs, ce qui montre qu’il a eu une certaine place dans la genèse de l’œuvre : « Ce matin je me demande pourquoi pas le jardin du Luxembourg et précisément ce lieu du jardin où se fait le trafic de fausses pièces d’or » ( p.20)
Paris et ses lieux ne sont jamais décrits dans Les Faux-Monnayeurs d’André Gide ; ils ne valent que par l’abstraction qu’ils représentent ou l’atmosphère qu’ils dégagent. Face à l’absence de description et pour comprendre leurs réelles symboliques il faut donc se pencher sur les noms qu’ils portent, leurs situations dans la capitale et par rapport aux autres lieux, ainsi que prêter une attention particulière à l’atmosphère qu’ils dégagent.
Dans la seconde partie du livre, intitulée « Saas Fée », l’action se transporte en Suisse. Bernard, Édouard et Laura parviennent à retrouver Boris tandis que Olivier et Passavant sont en Corse. La Corse comme la Montagne sont considérés comme des lieux en “cul-de-sac”. Des lieux de vacances opposés à Paris qui est un lieu d’études et de la littérature ainsi que de rencontre.
Ces deux lieux sont équivalents et opposés. On retrouve une symbolique double. D’une part ce sont des “cul-de-sac” c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ouverts sur le monde. En effet, il y a une certaine difficulté pour se rendre à Saas-Fée de part notamment l’insistance d’Édouard à rappeler au Juge que l’on ne peut aller au delà car c’est selon lui « au fond d’une impasse ». On retrouve aussi un certain caractère insulaire envers la Corse qui est dite « entourée d’eau » et qui donc elle aussi très peut accessible. D’autre part on peut remarquer la symbolique du haut et du bas. Édouard dans ses excursions « monte vers les cimes » tandis qu’Olivier reste sur un espace “à mi flanc” et “descend se baigner”. Saas-Fée peut être cependant vu comme un autre lieu de concentration et de croisement de toutes les intrigues. Nous sommes alors centrés sur Édouard mais aussi l’aventure de Laura, de Boris et de Bernard même si Olivier n’est pas présent dans cette deuxième partie. = complément
Pour terminer, les lieux en France marquent vraisemblablement l’histoire des Faux-Monnayeurs. Mais on retrouve une multitudes d’autres régions, pays et même l’évocation de certains continents dans son récit. Dans un premier temps on retrouve quelques régions de France et des pays d’Europe avec par exemple la Hollande et Houlgate en Normandie qui vont être des lieux de vacances de la famille Molinier, Pau est la ville dans laquelle se sont rencontrés Vincent et Laura. Il fait ensuite référence à la Pologne par le biais du personnage de Boris et de Mme Sophoniska. L’Angleterre est aussi évoquée. En effet c’est le pays dans lequel Édouard va prendre la fuite après le mariage de Laura, c’est aussi là que Sarah se rend. On apprend également que c’est l’endroit où s’installe le couple Douviers et enfin c’est la que la mère de George souhaite l’envoyer pour l’éloigner au maximum de ses mauvaises fréquentations. C’est donc un lieu qui représenterait plutôt l’évasion ou encore le ressourcement pour les personnages. Dans un second temps, Gide élargit sont point de vue en évoquant d’autres continents. Tout d’abord il y a l’Amérique avec le naufrage du bateau Bourgogne raconté par le personnage de Lady Griffith qui est elle-même originaire d’Amérique. Nous avons ensuite un passage qui se déroule en Afrique qui évoque la disparition de cette même femme.
Pour conclure, Paris est une cité “ouverte” vers l’extérieur tout autant qu’un lieu de rencontre et de convergence tandis que Saas-fée et Vizzavone sont des lieux de repos pour les personnages. Ces lieux profitent au roman d’apprentissage. On peut également dire que le thème du voyage semble être fondamental dans cette œuvre de par la diversité des déplacements et des endroits que l’on retrouve dans le roman. Enfin, on peut dire que la manière dont Gide traite l’espace est assez inhabituelle, les déplacements sont marqués par un éclatement, on peut aussi observé un jeu entre le concret et l’abstrait entre les éléments autobiographiques que l’on retrouve dans les lieux et les événements que l’auteur présente dans ces mêmes endroits dans le roman. Les itinéraires sont sans doute un jeu pour l’auteur, qui veut finalement nous montrer qu’il y a une multitude de possibilités, que chaque itinéraire est différent et c’est aussi grâce à cela que les personnages semblent échapper au créateur. On peut alors se demander si ces itinéraires mènent réellement quelque part.
Dorla, Zabajewski
Source:
http://lettres.ac-rouen.fr/francais/fx_gide/faux/systeme.htm
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