La justice dans Les Faux-monnayeurs

   Les Faux Monnayeurs est un roman écrit par André Gide et publié en 1925. Deux ans plus tard, l’auteur vient appuyer la compréhension de son œuvre grâce au Journal des Faux Monnayeurs. Gide fait ses débuts en tant que symboliste aux côtés de Mallarmé, Valéry et Claudel. Puis en 1993, il quitte ce mouvement littéraire et s’investit dans une écriture particulière. A travers ses œuvres, il évoque de nombreux thèmes tels que l’amour platonique dans La Porte étroite, l’homosexualité dans Corydon et la bâtardise dans son roman Les Caves du Vatican. Nous retrouvons tous ces thèmes dans Les Faux Monnayeurs dans lequel Gide est parvenu à les fondre dans une même intrigue. Au cours de sa lecture, le lecteur réalise que le récit est fondé sur la présence de divers délits. Peut-on considérer que l’évocation de nombreux crimes, à échelles différentes, constitue une critique de la Justice dans les Faux-Monnayeurs ? Nous verrons dans un premier temps, que certains de ces crimes sont impardonnables aux yeux de la  loi. Puis nous nous pencherons sur des activités illégales mais devenues banales. Enfin, nous étudierons la place et le rôle de cette Justice.

 

Les Faux Monnayeurs est un récit qui accueille de nombreux crimes inexcusables. La justice n’est pas impartiale, elle n’aide pas réellement. D’abord, l’œuvre présente des vols notamment concernant Georges qui va réaliser le vol d’un livre. Cela va accentuer sa passion pour les livres. D’ailleurs, cela a été inspiré d’un fait réel car l’auteur lui-même a réalisé la même action.

Le lecteur est dans l’incompréhension totale car Georges fait partie d’un milieu bourgeois, donc il n’est pas nécessaire qu’il commette un vol pour posséder un livre. D’autant plus que cela va révéler le caractère de George dû au comportement insolant envers Édouard qui le lui paye. Ajoutons à cela le vol de la valise d’Édouard par Bernard. Cet acte dévoile la curiosité du personnage qui répond à ses pulsions. Il est impulsif mais reste raisonné, il a conscience de la gravité de son acte et des conséquences juridiques de celui-ci puisqu’il la rapporte à son propriétaire. D’ailleurs, cet événement nous rappelle celui où Bernard quitte son foyer mais finit par rentrer chez lui à la fin du roman.

Le lecteur pense que l’intrigue principale va être policière en raison du titre : Les Faux Monnayeurs. Or que ce n’est qu’illusion, car le trafic de fausse monnaie sera évoqué au milieu de nombreuses autres intrigues. Cependant cela reste un crime illégal. De plus, le lecteur est surpris car la circulation de fausses pièces de monnaies implique de jeunes garçons qui sont liés à des personnages importants notamment Georges qui est le frère de Vincent et de Olivier Molinier. Il est évidemment accompagné d’une troupe constituée de Léon et ses amis.

L’œuvre présente de nombreux meurtres qui ne montrent aucune présence de jugement. Tout d’abord, il y a le meurtre inattendu de Lilian commis par Vincent. Cela a été causé par le personnage lui-même qui dégage une mauvaise image: vénéneuse et manipulatrice. Elle a transformé son propre assassin en l’influençant de par son caractère, qui n’était pas vraiment exemplaire. De plus, Gide avouera dans le Journal des Faux-Monnayeurs, qu’il n’appréciait lui-même pas ce personnage et que la mort de Lilian délivrera le roman d’une des impuretés de l’œuvre. Sa mort est donc sans impact. Le décès accablant du pauvre Boris va affecter le lecteur. Il va involontairement se suicider pour faire preuve de reconnaissance. L’auteur exprime dans son journal son inspiration à un fait réel : l’assassinat d’un adolescent dans une salle de classe. Cela va d’autant plus révéler le caractère du jeune garçon: son innocence et sa naïveté.

 

 

Dans son œuvre, Gide aborde un aspect plus social, plus humain de notre société. On trouve dans Les Faux Monnayeurs des crimes qui semblent être courants.

Premièrement, Gide évoque l’adultère qui est l’un topos du roman. En effet, lorsque nous nous marions, nous devons fidélité à l’être aimé. Les Faux Monnayeurs met en scène des personnages qui déjouent les normes sociales et font du mariage, pourtant sacré, un acte sans importance. Bernard est un bâtard, il n’est donc pas le fruit d’une union officielle, son véritable père n’étant pas Albéric Profitendieu. Mais les femmes ne sont pas les seules concernées. En effet, la mère Molinier subit en silence l’infidélité de son mari.

Ensuite, l’auteur fait allusion à la prostitution. Elle était à l’époque légale pour les personnes majeures. Or ici, ce sont des jeunes qui sont concernés. Il est important de préciser que Monsieur Profitendieu et son ami, Monsieur Molinier, travaillent au Palais de Justice. Ils sont au courant de l’affaire : des lycéens de bonnes familles fréquentent des prostituées et particulièrement le fils Molinier, Georges. Au cours de sa lecture, le lecteur se rend compte que la Justice est corrompue : pour protéger leur enfant, les deux collègues vont fermer les yeux sur ce délit. Cependant, la violence contre les prostituées qui ont été payées pour participer à ces orgies leur paraît justifiée : « Ah ! par exemple, faites coffrer les femmes ! ça, je vous l’accorde volontiers ; il me paraît que nous avons affaire ici à quelques créatures d’une insondable perversité et dont il importe de nettoyer la société. Mais, encore une fois, ne vous saisissez pas des enfants ; contentez-vous de les effrayer, puis couvrez tout cela de l’étiquette “ayant agi sans discernement” et qu’ils restent longtemps étonnés d’en être quittes pour la peur. »

Gide, dans Les Faux Monnayeurs , reprend un thème qui lui est familier : l’homosexualité. Notons que depuis 1791, les rapports homosexuels en privé entre adultes consentants ne sont plus poursuivis par la loi française. Cependant, une police administrative est mise en place autour des groupes homosexuels, notamment parisiens, jusqu’en 1981. Rappelons que l’histoire se déroule après la première guerre mondiale à Paris et que les relations homosexuelles concernent des majeurs et mineurs. Olivier et Passavant dans un premier temps entretiennent une relation. Puis, Olivier et Édouard développent des sentiments l’un pour l’autre et connaissent des moments intimes. Encore une fois, la justice est aveugle, elle n’est jamais informée de ces faits durant l’histoire et ne semble pas vouloir l’être.

Pour finir, le lecteur assiste à la naissance d’un amour incestueux dans l’œuvre. Édouard, que nous pouvons considérer comme étant l’un des personnages principaux, aime son neveu Olivier. La relation est d’abord platonique puis devient concrète. L’inceste est une infraction grave, reconnue par la loi, qui interdit les relations entre membres de la même famille et particulièrement entre mineurs et majeurs. Dans son roman, Gide la rend presque normale puisqu’elle n’est jamais évoquée de façon négative et que les personnages eux-même l’acceptent. En effet, la mère d’Olivier ainsi que Bernard réalisent progressivement que Olivier et Bernard s’apprécient. La justice est absente, le mineur n’est pas protégé, les lois ne sont pas respectées et dans cette société les personnes sont livrées à elles-mêmes.

 

Dans le roman, la justice tient une place et un rôle qui sont prépondérants.
Nous le remarquons dans un premier temps avec le trafic de fausses monnaies évoqué dès le titre de l’œuvre « Les Faux Monnayeurs ». L’incipit présente ensuite la bâtardise de Bernard (fait évoqué précédemment). L’adultère reste présent tout au long de l’œuvre en impliquant d’autres personnages. Laura elle aussi ne respecte pas ses engagements. Dès le début de l’histoire, le lecteur apprend qu’elle a commis l’irréparable en couchant avec Vincent alors qu’elle est mariée à Félix Douviers. On peut ainsi dire que les crimes ont une place récurrente dans le roman ; d’autant plus qu’en lisant l’œuvre nous découvrons de plus en plus de crimes. Au début les vols, qui sont ensuite complètement absents, mais aussi la prostitution ou encore et bien-sûr le trafic de fausses monnaies qui concerne la troupe des faux monnayeurs. Puis, nous constatons que Les Faux Monnayeurs se terminent sur deux meurtres. Ainsi, le lecteur s’aperçoit qu’il y a une évolution croissante de la gravité des crimes, le roman s’ouvre et se termine sur eux. L’évocation de ces crimes n’est pas anodine, Gide cherche à évoquer la justice, il cherche à lui attribuer un rôle dans son histoire.

Pour commencer, nous pouvons dire que la justice, ou plutôt les crimes, sont au centre des rencontres entre les personnages comme nous le constatons lorsque Bernard rencontre Édouard avec le vol de la valise ou encore lorsque ce dernier parle pour la première fois à Georges lors de l’épisode du vol du livre. Ces crimes, bien qu’ils soient nombreux, ne tiennent pas réellement d’importance aux yeux de la justice qui ne les punit pas mais les banalise pratiquement. Nous en avons une parfaite illustration avec l’adultère qui devient un fait presque normal au fil des années.  Ainsi, le mariage et, de façon implicite, la religion sont remis en question et la bourgeoisie est critiquée. La justice a perdu son pouvoir, la population n’est plus effrayée par les répercussions qu’entraîne cet acte. C’est un crime non sanctionné tout comme la prostitution. La justice n’est donc pas juste, elle ment en ne respectant pas l’égalité : les bourgeois sont protégés en raison de leur haute fonction. Ainsi, Gide à travers l’action de ses personnages dénonce la société et le mensonge sur lequel elle repose. L’acte des jeunes impliqués dans le trafic de fausse monnaie peut être associé à une sorte de rébellion car ils sont probablement en quête de reconnaissance, d’attention sans réaliser les conséquences juridiques qu’ils peuvent avoir (peine d’emprisonnement). Le rôle de la justice dans ce roman est de montrer que désormais elle n’est plus ce qu’elle était. Les meurtres soulignent ce fait, la justice va fermer les yeux sur les affaires; les circonstances de ces crimes resteront inconnues et le mot «meurtre»  ne sera jamais employé. L’auteur fait donc ici une critique de la justice qui est maintenant inégale, menteuse et, de façon extrême, absente.

 

 

 

Finalement, nous pouvons affirmer que Les Faux Monnayeurs est bel est bien une critique de la justice. En effet, dans ce roman, la justice n’est jamais réellement évoquée et lorsqu’elle l’est, nous constatons qu’elle n’est d’aucune utilité car ses représentants cherchent absolument à dissimuler les affaires, que ce soit pour les crimes moraux ou même pénaux. Gide nous fait ainsi part du mensonge sur lequel se repose la justice et de la place importante qu’elle occupe dans son récit. Un siècle auparavant, Victor Hugo, dans son œuvre Les Misérables, s’était fait porte-parole de la classe paysanne réprimée en dénonçant les injustices sociales. Plus qu’une simple histoire, le roman apparaît comme étant un moyen de se faire entendre, de dénoncer certains aspects importants de notre société.

Mahé, Mériot, Pothin

 

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2 réflexions sur « La justice dans Les Faux-monnayeurs »

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