André Gide est né en 1869, il est l’un des précurseurs du Nouveau Roman. Il fonde en 1908 la Nouvelle Revue Française. Le roman Les Faux-Monnayeurs est le premier roman qu’il ait jamais écrit. Parallèlement à la rédaction de son roman il rédige Le journal des faux monnayeurs et publie ses deux ouvrages en 1925 et 1927. Dans son roman, de multiples intrigues, personnages, points de vue et narrateurs alternent progressivement. On constate également que plusieurs thèmes y sont évoqués comme l’amitié, l’argent, les femmes, l’homosexualité et la liberté. Nous nous intéressons plus particulièrement au thème de la liberté et à son rôle. On se demande alors si les personnages sont réellement libres. Dans une première partie nous montrerons que les personnages ont une liberté apparente, puis nous verrons dans une deuxième partie que certains personnages ne jouissent pas d’une liberté totale.
Certains personnages bénéficient d’une liberté, ils sont libres physiquement et moralement.
On le constate tout d’abord avec le personnage de Bernard Profitendieu, au début de l’œuvre , il découvre un secret familial : il n’est pas le fils légitime du juge Profitendieu. Après avoir appris la vérité sur son existence s’ensuit alors une révolte contre sa famille, il décide de fuguer, de quitter sa famille car toute sa vie n’était qu’un vaste mensonge. En se détachant de sa famille et en s’éloignant des contraintes familiales Bernard affirme une quête de liberté, sa bâtardise le libère de tout, et le délivre de toute reconnaissance envers son père: “heureusement il me semble me souvenir d’avoir entendu dire que ma mère, quand elle vous a épousé, était plus riche que vous. Je suis donc libre de penser que je n’ai vécu qu’à sa charge”. Après avoir quitté le domicile familial, il ne sait pas de quoi il va vivre, il ne sait pas où aller, (bien que pour la première nuit il ait pensé à dormir chez son ami Olivier Molinier) mais c’est ce qu’il recherche. Il ignore qui est son père, il est donc libre d’imaginer qui il pourrait être: «Libre à moi d’imaginer que c’est un prince», «ne pas savoir qui est son père, c’est ce qui guérit de la peur de lui ressembler.» p12. Bernard représente la jeunesse en quête de liberté et d’émancipation: (partie I, chapitre 6, p.66) «Dans un instant, se dit-il, j’irais vers mon destin. Quel beau mot: l’aventure! Ce qui doit advenir.»
Boris, le petit-fils de la Pérouse est lui aussi libre des contraintes familiales puisqu’il est orphelin de père et vit sans sa mère. Bronja, son amie est également privée de figure paternelle.
Puis on peut constater également qu’Olivier Molinier est en quête permanente d’amitié afin de pouvoir se libérer des liens du sang, et se détacher des relations intrafamiliales. Olivier décide aussi d’établir des liens avec le comte de Passavant, afin de se libérer de sa jalousie pour Bernard et Edouard. Lorsqu’il voit Bernard et Edouard ensemble sans lui, il se sent trahi et jaloux de dépit, il se laisse alors séduire par le cynique comte de Passavant. Notamment lorsqu’il accepte de voyager avec ce dernier, poussé par la jalousie ressentie à cause du voyage en Suisse entrepris par Bernard et Edouard.
Quant au frère d’Olivier, Vincent Molinier, il quitte le chemin tracé pour lui. Il aurait pu avoir une brillante carrière de médecin mais il abandonne ses études pour ensuite se consacrer aux jeux d’argent et à Lady Griffith, qui est considérée comme la femme la plus libre du roman, son mari se trouvant en Angleterre, ayant donc le champ libre et il en profite. Vincent entretient avec celle-ci une relation amoureuse et sexuelle. Avec elle, il va entreprendre des voyages à l’étranger, notamment en Afrique. Lui aussi se libère de sa famille et des valeurs d’économie de sa famille et ses responsabilités.
Nous pouvons voir que certains personnages possèdent des mœurs libres comme Sarah (p120, 122) en entreprenant une relation avec Bernard, elle se libère alors du carcan de la moralité familiale.
Armand se détache des valeurs morales et familiales car il s’oppose aux croyances religieuses de son père et il pousse sa sœur vers Bernard (p120-122)”lorsque, d’un geste effronté, il rapprochait et forçait de se rencontrer leurs deux fronts”
Edouard est lui aussi libre car il écrit un roman, la forme d’ écriture la plus libre: p.203«Est-ce parce que, de tous les genres littéraires, discourait Édouard, le roman reste le plus libre, le plus lawless…»
Cependant, certains des personnages du roman ne jouissent pas d’une liberté totale.
Dans son roman, André Gide souhaite dénoncer surtout une société où les normes empêchent l’Homme d’être libre. En effet il souhaite dénoncer l’existence de “faux-monnayeurs de l’esprit” qui se croient “libérés” sans l’être.
On peut le voir avec le personnage de Laura. Son aventure avec Vincent l’arrache à l’univers routinier et fade avec Douviers. Loin des siens elle se sent « libre » mais finalement par l’aveu d’adultère rejoint “le monde des limitations morales” en repartant vers son mari, qui a accepté l’enfant qu’elle porte même s’il ne vient pas de lui.
Ensuite on le voit également avec Bernard, ayant fugué de son domicile familial, qui retourne au foyer à la fin du roman, sacrifiant ses rêves au profit du confort bourgeois.
Lilian Griffith quant à elle ne jouit pas d’une liberté totale, elle est obligée de mentir pour les convenances sociales. Elle doit entretenir secrètement sa relation avec Vincent, en effet elle le fait venir le soir et lui donne les clés: p.63 «Elle les accompagna vers l’antichambre, puis, comme Robert passait devant, glissa dans la main de Vincent un petit objet de métal et chuchota: Sors avec lui, tu reviendras dans un quart d’heure.»
Nous pouvons constater que certains personnages sont profondément ancrés dans les conventions de la société dans laquelle ils vivent.
On peut le voir avec les femmes du roman, qui n’occupent pas une place centrale dans l’œuvre. En effet celles-ci de manière symbolique occupent la place que la société leur a attribuée.
Pauline Molinier, qui est donc la femme d’Oscar Molinier et la mère d’Olivier, est décrite comme une femme silencieuse qui n’a pas son mot à dire, pour sauver les apparences. Son mari la trompe (Georges le découvre) et elle le sait aussi, mais fait tout pour garder cette façade. Elle se sait donc trompée mais se résigne et reste aux côtés de son mari malgré la souffrance qu’elle ressent. “j’ai restreint mon bonheur ; d’année en année, j’ai dû en rabattre; une à une, j’ai raccourci mes espérances. J’ai cédé ; j’ai toléré ; j’ai feint de ne pas comprendre, de ne pas voir…”
Quand à Marguerite Profentidieu, elle s’est mariée et s’est liée à Albéric Profitendieu non pas par amour mais par convenance sociale. Elle regrette de ne pas avoir quitté son mari quand elle en avait l’occasion p.31: «Ah! Je n’aurais pas dû revenir»
D’autres personnages ne sont pas libres moralement, ceux-ci sont “emprisonnés” dans des institutions traditionnelles comme la justice, la religion ou encore l’éducation.
Gide montre à travers son œuvre, des personnages qui n’agissent pas justement, n’ont pas le choix et se retrouvent prisonniers entre la justice et les liens affectifs et sociaux.
En effet on peut le voir avec Molinier et Profitendieu qui souhaitent protéger leurs semblables. En effet, lorsque le scandale des orgies et de la fausse monnaie leur parvient, ils préfèrent fermer les yeux et ne pas “poursuivre” ou “compromettre” des “familles respectables”. Par contre, la violence contre les prostituées qui ont été payées pour participer à ces orgies leur paraît justifiée: « Ah ! par exemple, faites coffrer les femmes ! ça, je vous l’accorde volontiers ; il me paraît que nous avons affaire ici à quelques créatures d’une insondable perversité et dont il importe de nettoyer la société. Mais, encore une fois, ne vous saisissez pas des enfants ; contentez-vous de les effrayer, puis couvrez tout cela l’étiquette”ayant agi sans discernement” et qu’ils restent longtemps étonnés d’en être quittes pour la peur. »
Conclusion
Pour conclure, nous avons parlé de la liberté apparente des personnage et comment nous l’avons repéré. Ensuite dans une seconde partie, nous avons montré que certains personnages ne jouissent pas d’une liberté totale : on peut donc répondre à la problématique en disant que nous avons la liberté physique et morale, avec certains personnages dont Bernard. Ils peuvent être libres en se séparant de la famille ou des responsabilités. Cependant Gide montre que beaucoup de personnages, ne sont pas libres, car la société empêche les Hommes d’être libres.
Thia-Pow-Sing
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