Admirateur de Paul Valéry et de Stéphane Mallarmé, André Gide est un auteur contemporain qui a une certaine avance sur son temps. Il compte plusieurs œuvres à son actif notamment La Porte étroite (1909), Les Caves du Vatican (1914) ou encore La Symphonie pastorale (1919). Les Faux-Monnayeurs est un roman publié en 1925 . Ce roman, précurseur de mouvement littéraire comme le Nouveau Roman, est l’un des plus notables du XXème siècle. Bâtie sur le modèle de la mise en abyme, c’est une œuvre qui contient de multiples personnages et intrigues ; de plus l’auteur se détache de la tradition littéraire, en tournant son choix vers une déconstruction du récit par l’intermédiaire d’un récit non-linéaire. Les Faux Monnayeurs évoque l’histoire d’Edouard, un écrivain en quête d’inspiration, ainsi que celle de Bernard un jeune garçon victime de la malhonnêteté de ses parents. En 1927, André Gide publie le Journal des Faux Monnayeurs qui est une œuvre complémentaire à son œuvre de départ Les Faux Monnayeurs, et qui est destinée à ses lecteurs, lui permet d’étayer les raisons de sa rédaction atypique. Le thème de la musique y est présent implicitement comme explicitement. Étant passionné, l’auteur a toujours eu un attachement pour la musique et plus particulièrement pour le piano et Jean-Sébastien Bach, un musicien reconnu, pour qui il avait une considération remarquable. Nous pouvons alors nous demander comment la musique est rendue importante dans les œuvres. Dans un premier temps nous mettrons en exergue la place occupée par la musique dans les œuvres, et pour finir dans un second temps nous nous appuierons sur le rôle que détient celle-ci dans les œuvres.
I. La place prépondérante de la musique dans le roman
– La musique s’illustre à travers certains personnages du roman. On retrouve parmi ces personnages La Pérouse qui est un professeur de musique âgé, il joue plus particulièrement du piano. Nous avons une analepse dans l’œuvre indiquant au lecteur qu’il a donné des cours de piano à la mère de Boris.
On note également l’apparition de la musique au début du roman lorsque Cécile Profitendieu joue une barcarolle. Puis on trouve une autre musicienne, d’origine russe qui est l’amante du fils La Pérouse mais aussi la mère de Boris. La figure du piano récurrente dans le Journal des Faux-Monnayeurs (p.13-14) permet de thématiser cette écriture musicale.
Enfin Edouard qui est écrivain, établit un parallèle entre la littérature et la fugue: « Ce que je voudrais faire, comprenez-moi, c’est quelque chose qui serait comme l’Art de la fugue. Et je ne vois pas pourquoi ce qui fut possible en musique, serait impossible en littérature… » p.187.
– La musique est présente implicitement tout au long de l’œuvre. André Gide adopte pour accompagner le récit non-linéaire, un rythme binaire dans son œuvre. Ce rythme est marqué à travers de courtes phrases dans lesquelles s’établissent une sorte de parallélisme. En effet le rythme est assez bref dans l’ensemble de l’œuvre, on compte sur 8 043 phrases totales du roman, 74% qui font moins de deux lignes et 41% qui font plus d’une ligne. Seulement 23 phrases sont très longues. Cela est volontaire de la part de Gide qui disait dans le Journal des Faux Monnayeurs : « Exprimer le plus succinctement sa pensée, et non le plus éloquemment… Où trois lignes suffisent, je n’en mettrai pas une de plus. »
De plus on peut donc ajouter que Gide utilise une composition symphonique pour contrer la composition architecturale présente dans les autres romans traditionnels.
-André Gide n’hésite pas à compléter sa rédaction en énumérant des musiciens reconnus. Dans le Journal des Faux-Monnayeurs l’auteur fait l’éloge de Jean-Sébastien Bach dont il admire le talent :
« […] Bach avait réussi le chef-d’œuvre abstrait de l’ennui, une sorte de temple astronomique, où ne pouvaient pénétrer que de rares initiés. Édouard protestait aussitôt, qu’il trouvait ce temple admirable, qu’il y voyait l’aboutissement et le sommet de toute la carrière de Bach. ».
II. Le rôle de la musique
– La musique a pour but d’exposer l’attachement de Gide pour celle-ci dans le roman. L’auteur était un passionné mais contre toute attente on peut remarquer qu’Édouard qui est le porte-parole de Gide dans cette œuvre n’a aucun lien direct avec la musique. Gide disait dans son journal : « Je suis comme un musicien qui cherche à juxtaposer et imbriquer, à la manière de César Franck, un motif andante et un motif d’allegro. Je crois qu’il y a matière à deux livres et commence ce carnet pour tâcher d’en mêler les éléments de tonalité trop différente. 17 juin 1919 ».
– Ce roman d’André Gide se veut une manifestation écrite de l’Art de la Fugue caractérisée ici par des reprises et retours qui ne permettent pas d’aboutir aux différentes intrigues car celles-ci se croisent et se rejoignent en permanence. Ces intrigues sont majoritairement basées sur le même thème et sont construites de façon à respecter l’ordre non-linéaire orienté par les deux foyers du roman imposés par l’auteur. D’ailleurs l’Art de la Fugue est à l’origine une œuvre inachevée de Jean-Sébastien Bach. Gide s’inspire donc de l’œuvre de ce musicien/compositeur qu’il affectionne ; elle lui permet de donner l’impression d’avoir des réponses apparentes au cœur du roman ainsi que des liens entre les différentes parties.
– De plus la musique a également un rôle symbolique au chapitre 18 de la 3ème partie, lorsque La Pérouse et Edouard expriment leur opinion sur la place du trombone dans une symphonie de Beethoven sur une joute verbale. La Pérouse déteste ce morceau, dont le pouvoir affectif trop grand se prolonge en affects, à l’inverse d’Edouard qui lui reproche de réduire la musique à une pure abstraction. Leur débat oppose la vision d’un monde abstrait et de l’autre, celui des passions et des sentiments.
Conclusion
En effet lorsque l’on s’appuie sur la présence de la musique dans les Faux Monnayeurs, on peut constater qu’elle occupe une place prépondérante dans cette œuvre. Elle témoigne de l’affection particulière de l’auteur pour l’art musical comme il est confirmé dans le Journal des Faux Monnayeurs. Mais elle a également un rôle ambivalent dans ce roman, ce qui lui permet d’accompagner parfaitement les différentes intrigues et intentions de Gide.
Dabiel, Fradelin
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