Les décors dans “Oedipe-Roi” de Pasolini.

  Pasolini se lance entre 1967 et 1970 dans la revisite de mythes en sortant une trilogie grecque. Il choisit de revisiter les trois mythes grecs les plus célèbres qui ont rendu célèbre la tragédie grecque. Parmi ces trois mythes nous retrouvons le très célèbre mythe d’Œdipe repris pendant l’Antiquité par Sophocle, version servant de référence et sur laquelle toutes les réécritures du mythe d’Œdipe se sont basées. Pasolini se réfère donc à la pièce de Sophocle du même titre que son film, Œdipe RoiL’histoire que nous retrouvons dans le film sera donc bien celle d’Œdipe mais revisitée par Pasolini qui va y apporter une dimension autobiographique. Ce n’est donc pas une réécriture ordinaire et encore moins un décor ordinaire.

 En effet le film débute dans un décor très contemporain, dans l’Italie des années 1920, époque et lieu très chers à Pasolini qui est lui-même né en 1922 dans une petite ville d’Italie, avec une maison typiquement italienne, très ordinaire. Les volets des portes de la chambre dans laquelle accouche la mère sont ouverts alors que tous les autres volets de la maison sont fermés. Le balcon connote également une ouverture sur l’extérieur, c’est sur ce même balcon que l’enfant se tient et observe ses parents qui dansent dans la maison d’en face. La chambre nuptiale est également accessible au spectateur, le lit y est imposant, rappelle les lits de roi, ce qui permet de faire le lien avec le mythe dans lequel les parents d’Œdipe sont roi et reine. Le spectateur comprend ainsi d’emblée que Pasolini va le faire accéder à l’intimité même de ses personnages. La scène connote l’entrée dans l’histoire mais plus encore l’accès accordé à l’intimité des personnages. Les couleurs sont douces, le bleu clair des volets rappelle la couleur de la robe de Jocaste dans l’épilogue, le bleu sera d’ailleurs une couleur très récurrente dans le film.

 De l’Italie on passe à la Grèce archaïque, au mythe d’Oedipe. Pourtant l’action se passe au Maroc, dans un décor plus africain que grec, les terres y sont arides. Les décors dans le volet «  Sophocle » du film sont fortement marqués par l’influence du réalisateur et comme le fait remarquer Hervé Joubert-Laurencin, cette œuvre cinématographique adaptée du mythe d’Œdipe comporte une dimension « onirique » à prendre en compte comme si nous étions plongés au cœur même de l’inconscient œdipien de l’auteur, et Pasolini l’affirme : ce film est comme un « long rêve »…On comprend mieux ainsi la mise en scène fortement chargée en symbolique. En effet, Pasolini choisit pour l’esthétisme de son film de mélanger des cultures, ils auront un impact d’autant plus puissant par leur originalité et leur signification au cours du récit. Il n’a pas voulu dans ce volet de son œuvre donner une référence particulière à l’histoire comme si le mythe était hors du temps. Ainsi, il nous propose un désert marocain très sec, qui d’ailleurs renforce la solitude intérieure d’Œdipe après l’annonce de l’oracle où il ne peut retourner à Corinthe. Par la suite nous avons des habitations en terre cuites digne d’une culture africaine sumérienne primitive… (À noter que les costumes participent aussi fortement à cet esthétisme fantasmatique, notamment avec les grands masques africains de l’oracle et du sphinx). Dans cette ambiance du Maghreb nos personnages déambulent comme dans un tableau avec des teintes ocre (effet de style totalement pasolinien).Cette recherche du « primitif » renvoie à une certaine sauvagerie de l’Antiquité d’une part, mais aussi à des symboles. On peut noter notamment le décor lors de la scène de l’oracle de Delphes où la foule se positionne quasiment tout autour de l’oracle, qui elle-même se trouve sous un grand arbre au milieu d’une dune de sable. On peut faire ici le rapprochement direct avec la culture africaine où l’arbre à « palabre » sert aussi de lieu de jugement ou de grandes réunions, de cérémonies et où de grandes foulent se réunissent…Nous avons ici encore un témoignage de l’esthétisme du film contribuant à rajouter de la profondeur dans ce film, il nous propose, en effet, un style chargé de mélanges culturels qui semble nous sortir de toutes formes de repères spatio-temporels…

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 A la fin du mythe nous retournons en Italie, cette fois l’Italie des années 1960; Œdipe guidé par Angelo parcourt la ville de Bologne, une ville très importante pour Pasolini car c’est à Bologne qu’il a fait ses études. Bologne est la ville de l’apprentissage du savoir, et de la raison : elle représente pour lui la cité d’Athéna. D’ailleurs, on peut faire un parallèle entre Bologne et la ville de Colonne que l’on retrouve dans Oedipe à Colonne, pièce également écrite par Sophocle et qui suit les aventures d’Oedipe après la tragédie, en effet dans cette pièce Colonne est symbole de rédemption pour Oedipe tout comme la ville de Bologne dans le film. On les voit traverser  quelques  lieux  urbains, notamment passer sous les arcades des portiques de la mort qui jouent ici le rôle de « portail » entre le mythique et la modernité.

Par ailleurs la scène du pré fait un lien entre prologue et épilogue.Ce décor est un endroit important, mais aussi décisif dans le film. En effet, il apparaît comme un élément de remplacement du mont Cithéron, car l’enfant qui est né au début du film est abandonné par les femmes qui courent loin de lui, le laissant seul à admirer le monde, la verdure qui l’entoure. Ce fait peut aussi nous révéler que ce bébé, quand il grandira se retrouvera seul, en proie à lui-même, les gens s’enfuient dans la direction opposée à la sienne…

Par ailleurs, si les faits précédemment évoqués appartiennent au début du film, ce décor est de retour à la fin du film: comme si ce décor encadrait la vie d’Oedipe, d’enfant à son âge adulte, et ce malgré le changement d’époque. Ce retour au point de départ, et le dispositif circulaire qui se termine sur une image fixe du pré comme au début du film, symbolise une illumination, comme si Oedipe en finissant sa vie avait retrouvé la vue de l’âme.

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Au cours du film d’autres décors nous feront penser à une symbolique oedipienne, notamment lors de la scène du labyrinthe où notre héros maudit fuit tous lieux en réponse à la prédiction de la Pythie. Alors que jusque-là il se laissait guider par le hasard il découvre un labyrinthe en terre cuite ( toujours dans le désert) , labyrinthe qui peut être l’allégorie de la vie d’Oedipe, comme si il cherchait une échappatoire à son destin funeste…

CONCLUSION :

Ainsi Pasolini a décidé de tourner son film dans un décor atypique, qui au premier abord semble n’avoir aucun rapport avec le mythe. De la Grèce antique de Sophocle on passe au Maroc dans un temps indéterminé. Cependant les lieux ont tous une symbolique et c’est d’ailleurs pour cela que Pasolini a choisi un décor si particulier puisque le décor ne se veut que subjectif. Pasolini place ses spectateurs dans une dimension onirique et hors du temps pour justement montrer que le mythe est intemporel, n’a pas d’attache spatio-temporelle et qu’il peut donc se jouer n’importe où et n’importe quand. Pasolini souhaite donc montrer l’universalité du mythe et son rapport au sacré que la civilisation industrialisée tend à oublier de plus en plus.

PERMAL-ELLAMA Daniella, RODRIGUEZ Paolo, THEMYR Anne-Laure

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