Le décor d'”Oedipe-roi” de Pasolini

« Œdipe Roi » de Pasolini est une adaptation de la pièce du même nom de Sophocle. Dans ce film, le réalisateur n’a pas fait qu’adapter la pièce, mais il y a également inséré des éléments autobiographiques. De plus, ce film retrace l’histoire d’Œdipe, depuis sa naissance jusqu’à son exil, et ainsi, à travers les différents décors dans lequel il évoluera, nous verrons en quoi ils sont marquants dans quatre parties différentes de l’œuvre : le prologue, de la naissance d’Œdipe jusqu’à ce qu’il devienne de roi de Thèbes, dans son enquête et enfin l’épilogue.

  1. Le prologue

Le prologue commence tout d’abord par une pierre où est marquée « TEBE », référence directe à la ville de Thèbes. Pasolini montre ici l’endroit où tout va se dérouler. Cette pierre se trouve devant un champ, puis le plan change et nous nous retrouvons devant un champ cette fois-ci de maïs. Derrière celle-ci se trouve une église, ou une Cathédrale, et différents bâtiments de l’époque. On arrive ensuite devant « la » maison. Celle où Œdipe (ou Pasolini) est né. Cette maison est séparée en deux parties : tout d’abord l’étage en blanc, et le rez-de-chaussée en bleu. A la droite de cette maison se trouve une statue, nous avons ensuite un plan sur l’accouchement. Un lit et un meuble peuvent être aperçus, le fond, la peinture du mur, est marron, et tout cela correspond au style de l’époque.

Nous avons ensuite une scène dans une prairie ou une clairière, on y voit un long chemin avec des habitations en arrière-plan. Le réalisateur nous montre tout au long du prologue son enfance, car il a dit lui-même, que ce film était son film le « plus autobiographique ». L’herbe dans cette praire est jaune et sèche. Le bébé se trouve près de buissons en fleur dans un couffin. Une nappe est installée, puis nous trouvons une deuxième prairie différente, car elle est entourée d’arbres qui se trouvent alignés. Nous avons ensuite un changement de décor qui nous montre le bébé, seul avec sa mère. Ce décor est plus accueillant, plus chaleureux et plus tendre. Après cela, nous passons sur un plan différent où on voit la mère montrant le bébé à des femmes, ainsi que l’apparition du père, et son regard hostile face à cet enfant. Ayant peur, l’enfant se cache les yeux : c’est un signe de la fatalité, il ne veut pas voir ce qui va se produire. Plus tard, dans la chambre des parents, il y a une petite lumière, l’enfant dort dans son berceau. Dans la cour du bal, rien n’est éclairé, tout est sombre, mais l’enfant se lève et voit ses parents en train de danser à travers un rideau. A côté de lui se trouvent des fleurs rouges, signifiant le sang, l’amour, mais aussi la royauté. Nous avons ici une référence directe au mythe d’Œdipe : l’enfant qui tua son père et épousera sa mère. Il deviendra ainsi roi. Le complexe peut être aussi évoqué à travers le regard de l’enfant qui veut sa mère. Au retour des parents du bal, le bébé dort de nouveau et une scène d’amour est montrée, tout est blanc, symbole du mariage, de la pureté, mais après cela, le père va près du berceau tandis qu’il fait totalement noir, et prend les pieds de son fils qui se cache les yeux et appelle sa mère.

  1. Œdipe, prince de Corinthe et roi de Thèbes

Dès la fin du prologue, on quitte l’époque contemporaine pour passer à l’Antiquité. De ce fait, nous quittons un décor qui se voulait moderne pour arriver sur un plan désertique où les seuls éléments faisant le décor sont les plaines et les chemins rocheux, ces plans ne montrant rien d’autre que deux personnages marchant vers des directions opposées , suggérant leur éloignement par rapport à la ville, et le fait que leurs quêtes sont différentes. Un personnage va abandonner Œdipe, tandis que l’autre le sauvera. Dès que l’enfant est trouvé, nous passons rapidement vers un décor plus accueillant : en effet, une ville et un nombre important de personnes se trouvent au loin. Nous quittons l’ambiance désertique et solitaire pour nous retrouver dans un monde plus vivant. Devant les portes de Corinthe et au milieu de la foule se trouve le roi protégé du soleil et de la chaleur par une structure en forme de triangle et soutenant un objet à demi sphérique. Il est protégé par de nombreux gardes positionnés près de lui qui ne le suivent pas lorsque le roi s’en va, avec l’enfant, avançant de nouveau dans un endroit éloigné de l’endroit où ils se trouvaient initialement (même si nous le voyons en arrière-plan). Ici, et contrairement au début, un peu de verdure se trouve derrière le roi alors qu’il avance, cela pourrait en effet montrer que la découverte de cet enfant aurait apporté un nouveau souffle à sa vie ou à celle de Corinthe, leur redonnant ainsi de l’espoir. Le Roi arrive ensuite à Corinthe, accueilli par des gardes protégeant les structures en pierre de la ville. Lorsque le roi arrive, il a l’air d’être de taille égale aux murs donnant accès aux portes de la ville, tandis que les gardes, eux, ont l’air écrasés par la taille de la ville. S’ensuit un plan montrant la grandeur de la ville. Cela pourrait montrer la force de Corinthe, une force que seul le roi est en mesure d’égaler, car lui seul est à la hauteur des bâtisses de sa ville.

Suite à l’arrivée d’Œdipe dans la ville, sa mère est présentée au centre d’un lieu coupé, d’un côté par la verdure, et de l’autre le désert. Cette dualité pourrait montrer les différentes faces de cette mère : elle est la personne qu’Œdipe pense être sa vraie mère d’un côté, mais d’un autre côté, elle lui a caché la vérité en ne lui disant pas qu’il avait été trouvé. Suite à ça, et à l’arrivée du père avec l’enfant, de nombreuses femmes se lèvent et courent vers la reine, cela n’est pas sans laisser penser à la scène du pré dans le prologue où toutes les femmes vont s’amuser, laissant le bébé seul. De plus, ces femmes sont entourées de vêtements colorés autour d’elles, montrant une certaine joie qui se voit également sur leurs visages. Lorsque le Roi montre l’enfant à sa femme, il n’est entouré de rien à part la lumière du soleil, ce qui n’est pas sans rappeler les mots que le Roi de Corinthe lorsqu’il a vu Œdipe pour la première fois : « Fils de la fortune ». Fortune étant chez les romains la Déesse de la chance, Œdipe est vu par les Corinthiens comme une véritable chance.

Des années plus tard, nous retrouvons Œdipe, devant les portes de Corinthe jouant au lancer de disque sur un terrain se trouvant à l’endroit où il avait été amené pour la première fois à son père adoptif. Nous voyons suite à ça, Œdipe dans une cour de son château, entouré par des colonnes de pierres, et avançant vers sa mère comme s’il avançait vers la vérité. La mère quant à elle, se trouvant dans l’ombre pendant qu’Œdipe avançait, sort de celle-ci et avance vers la lumière, vers son fils. Elle est également entourée de colonnes de pierres, et se poste juste à côté d’un arbuste pour répondre aux questionnements d’Œdipe. Son père également se lève et se poste à côté de sa mère, laissant derrière lui plusieurs jeunes garçons à moitié nus (n’étant pas sans rappeler la sexualité du réalisateur). Suite au souhait d’Œdipe de quitter la ville et aller consulter l’oracle, un nouveau plan montrant les bâtisses de la ville est montré, mettant en évidence un oiseau s’occupant de son nid en haut d’un des bâtiments. Le fait que l’oiseau s’envole ensuite, montre qu’Œdipe est prêt est à quitter ce nid et, est donc une allégorie du « passage à l’âge adulte ». Œdipe quitte ainsi Corinthe en refermant les portes de la ville derrière lui. Cela montre qu’il ne reviendra donc pas, et le fait que le palais soit mis en évidence écrasant de nouveau les gardes et Œdipe par sa grandeur accentue le fait que le « fils de la fortune » soit à présent parti. Œdipe se lance donc dans son voyage, tournant le dos à sa vie passée, cela est montré par le fait qu’il n’y plus aucun signe de vie à l’horizon à part celle d’Œdipe. Il dépasse alors le panneau en pierre où était écrit « Corinto », passant à travers des ânes, puis une foule de personnes assises. Ayant trouvé l’Oracle, se trouvant devant le seul arbre au milieu de cette plaine désertique, il y a un contraste entre la foule qu’il y a derrière Œdipe, et le nombre minime de personnes qui l’attendent devant lui. L’Oracle mange alors ce qui lui a été envoyé par ses « serviteurs » afin de prédire le destin d’Œdipe, après l’avoir fait, l’Oracle apparaît comme une divinité, en ayant le soleil juste derrière elle, signifiant le fait que les Dieux sont avec elle. De plus, dès qu’Œdipe commence à s’en aller, la foule qui se trouvait derrière lui disparait soudainement puis réapparait à plusieurs reprises. La vision d’Œdipe se faisant soudainement floue, cela montre qu’il ne comprend pas, ou bien qu’il rejette les mots de l’Oracle en rejetant la foule qui se trouve en face de lui. Œdipe, en revoyant le panneau indiquant qu’il marchait vers Corinthe décide de s’enfuir, pour éviter que la prophétie ne devienne réalité, et se retrouve dès lors perdu, au milieu d’un champ, puis d’un désert. Il marche là où ses pas le mènent, et se retrouve devant des ruines où il se questionne sur le chemin que vient de prendre sa vie. Il décide alors de s’avancer vers Thèbes (« Tebe ») n’ayant rien d’autre que sur son chemin des plaines désertiques. Œdipe se retrouve alors accueilli dans une ville où un mariage a lieu. L’endroit paraît étroit, comme si il n’y avait qu’une seule pièce où tous étaient réunis. Il se met alors à marcher dans un labyrinthe en ruine, où il découvre une femme à moitié nue. Elle pourrait symboliser le désir, il s’agit là d’une femme qu’Œdipe n’ose approcher, cela pourrait montrer son refoulement par rapport à la prophétie : « il se mariera avec sa mère ». Sa première rencontre avec Tirésias a lieu après qu’Œdipe a tué son père, le roi de Thèbes et après avoir trouvé un camp de réfugiés de Thèbes, fuyant le Sphinx, empêchant tout habitant d’entrer dans la ville. Il était alors en train de jouer d’un instrument, ses vêtements se fondant parfaitement au décor, il était en totale harmonie avec la nature. De plus, avant d’arriver à Thèbes, Œdipe n’évolue que dans des décors naturels, mis à part les routes et les chemins qu’il empruntait pour arriver à Thèbes, tout ce voyage se fait sur les mêmes chemins. Durant son combat contre le Sphinx, le seul élément de décor était le ciel. Bleu, comme pour signifier que Thèbes allait être libéré de son malheur. Suite à sa mort, la ville de Thèbes est montrée et la reine Jocaste et le Créon apparaissent tout deux portés sur un trône par des enfants. La chambre d’Œdipe et Jocaste est ensuite montrée, laissant suggérer ce que les deux nouveaux époux étaient en train de faire par les couleurs sombres, les contrastes de bleu et de noir, et, avec comme seule source de lumière, une torche.

  1. L’enquête

Dans le décor, l’accent est mis sur le thème de la nature, de la mort, et de la souffrance. En effet on constate que le décor met en évidence des éléments naturels : il y a beaucoup de cailloux, le palais semble être construit avec du sable, ce qui donne une impression de fragilité, d’ailleurs sur certains plans on a l’impression que le palais est en ruine et qu’il n’est plus occupé, la ville entière semble être vidée, on ne voit plus personne hormis les cadavres (victimes de la peste, os), des oiseaux dans le ciel et sur le sol, on voit le sang et la chair des victimes. A côté d’une des victimes, un enfant pleure sa disparition. Tous ces éléments annoncent le destin tragique d’Œdipe et de Jocaste, mettent en avant l’horreur de la malédiction, et donnent une impression de chaleur de malaise, de dégoût et de solitude. Le palais est omniprésent, il est vu sous différents angles (contre-plongée, panoramique…). Il semble immense. Ce palais représente aussi la puissance d’Œdipe cependant le fait qu’il semble fragile semble être aussi le présage de son départ prochain. A l’intérieur de la cour du palais on découvre Œdipe devant une porte, entouré de ses serviteurs. Il y a un contraste entre les premiers plans et le moment où commence l’investigation. Le silence est remplacé par le chant d’une femme, le décor se remplit tout d’un coup : cela indique que quelque chose d’important semble arriver. Le décor rappelle encore le thème de la mort avec les corps pendus et les cadavres. On remarque qu’il y a beaucoup de plan où l’on voit des oiseaux noirs dans le ciel les oiseaux sont plus proches des dieux et sont annonciateurs de mauvais augures. On remarque qu’Œdipe est en hauteur, il est petit par rapport au palais. Au niveau architectural les peintures, sculptures font penser à l’Orient, les armes ont une forme géométrique (rond, carré). Il y a de nombreux plans sur la chambre qui est plutôt sombre, ce qui contraste avec l’extérieur qui est lui très lumineux. La chambre paraît donc intimiste, il y a aussi une flamme, et on remarque trois visages représentés sur le lit. Quatre poutres, ce qui fait penser à la Grèce antique. On retrouve encore la présence du feu lorsque les personnes vont brûler les corps, le feu est purificateur et correspond au cœur, aux passions et à la colère. La montagne est aussi mise en avant. Lorsque Tirésias arrive et s’assoit sous un arbre, cela fait écho à la scène avec la Pythie, d’ailleurs ils ont tous deux le même rôle ils prédisent l’avenir. On remarque des chèvres en arrière-plan. La chèvre blanche correspond à la franchise et la noire suggère qu’il faut réfléchir avant d’agir. Pendant ce temps Jocaste batifole dans le jardin qui est un peu moins aride, il y a des fleurs et de la verdure. Il y a encore une scène amoureuse, mais cette fois on ressent la brutalité d’Œdipe : il semble être dans le déni et on remarque qu’il y a beaucoup de draps de rideaux qui font penser à un voile, ce voile suggère que Œdipe refuse de regarder la vérité, il agit avec passion et ne pense plus. Cela rejoint bien l’idée du destin : il ne peut pas y échapper. On retrouve ce voile lors de son dialogue avec Créon, il est derrière Œdipe et montre donc qu’il est borné et dans le déni. Dans la scène suivante on voit Jocaste et Œdipe dans le jardin assis, cette scène fait penser à la scène du prologue, (Oedipe et sa mère), cette scène est cruciale car c’est à ce moment qu’il commence à douter, ils sortent du jardin à la tombée de la nuit. Le fait qu’il fasse nuit suggère l’inquiétude d’Œdipe. Dans une autre scène d’amour, Œdipe appelle Jocaste « maman » et se montre très brutal avec elle. Dans l’autre scène on constate beaucoup de fleurs, rappelant plus la tendresse. Lorsqu’Œdipe va à la recherche du paysan le décor est plus verdoyant, plus vivant, il y a des herbes, de l’eau, il y a plus de vie. Lorsqu’Œdipe rentre, il voit sa femme et donc sa mère pendue dans la chambre, lieu où s’est déroulé l’inceste. Ce plan est suivi d’un panoramique sur le palais, ce qui fait référence à la scène de la malédiction (peste). Œdipe se crève les yeux : il y a du sang sur ses mains, ce qui renvoie à sa culpabilité, le plan met en avant le dessin sur le lit qui représente un homme. Lorsqu’il sort, on retrouve les flammes à sa gauche. Le fait qu’il ait décidé de quitter le palais et donc Thèbes, montre qu’il a compris, le fait qu’il s’est crevé les yeux montre que la vérité à laquelle il a dû faire face est beaucoup trop douloureuse pour lui, et il a décidé de ne pas la voir.

Nous pouvons voir que l’épilogue se passe dans quatre lieux différents et qu’Œdipe est accompagné par son ami Angelo, qui lui sert de guide durant son voyage vers la rédemption.

  1. L’épilogue

L’épilogue commence dans une époque moderne, avec Œdipe guidé par Angelo qui marche dans la ville de Bologne sur une allée avec des grandes colonnes de pierres. L’architecture de cette allée peut nous faire directement penser à l’architecture des monuments religieux que l’on pouvait trouver dans l’antiquité.

Ensuite, Œdipe et Angelo s’arrêtent devant la Basilique San Petronio, la principale église de la ville de Bologne et la plus grande église gothique au monde. Œdipe est seul sur les escaliers pendant qu’Angelo s’amuse avec les pigeons. Œdipe est seul et les passants ne semblent pas prêter attention à lui, ne semblent même pas s’apercevoir de son existence : alors qu’il n’y a pas si longtemps, tout son peuple l’admirait et le respectait. On peut supposer que si Œdipe a d’abord choisi de s’arrêter devant cette basilique, c’est qu’il est à la recherche du pardon céleste pour tous les péchés qu’il a commis durant sa vie.

Il est à noter que cependant, Œdipe et Angelo ne restent pas prêts de la Cathédrale et s’exilent encore plus loin de la ville et s’arrêtent sur un chemin qui permet de quitter la ville. Œdipe est encore seul, à jouer de la flûte pendant que son compagnon joue au ballon. Le chemin dans lequel Œdipe se trouve est très significatif quant à son avenir ; illuminé par le soleil, et rien à l’horizon : ce chemin représente l’avenir d’Œdipe. Après avoir connu le pire, il n’y a que le meilleur qui peut lui arriver. Les deux compagnons ne s’attardent toujours pas sur le chemin, et partent encore. Ils passent devant la maison de la mère d’Œdipe dans l’épilogue, là où tout a commencé, et ils s’arrêtent dans une grande prairie, avec des arbres ou il entend l’air d’une chanson révolutionnaire.

Pour conclure, nous pouvons voir que si dans cet épilogue, Œdipe et Angelo se retrouvent dans une époque moderne, c’est pour marquer l’intemporalité de ce mythe. Œdipe, aveugle, sur le chemin de la rédemption, est réellement seul dorénavant : celui qui avait passé toute sa vie admiré et aimé par tout le monde, se retrouve seul en compagnie de son ami. Angelo pourrait être comparé à la fille d’Œdipe, Antigone, qui dans le mythe de Sophocle, accompagne son père lors de son exil.

Goulamaly Insiyah, Beriou Cathia, Hernandez Emma, Beringuer Mélissa

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Une réflexion sur « Le décor d'”Oedipe-roi” de Pasolini »

  1. Bonjour Madame! Je voulais vous faire part d’une petite faute de frappe qui concerne le titre de ce brillant article. C’est à dire : »Œdipe-roi »
    Merci de votre compréhension.

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