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La trilogie grecque de Pasolini

Pier Paolo Pasolini, est à la fois écrivain, journaliste, scénariste et réalisateur italien. Il s’intéresse très jeune au cinéma en fréquentant le ciné-club de son lycée. Surnommé « l’Enragé », il incarnait de son vivant toutes les contradictions de son époque. Très attaché aux mythes, il décidera de sortir une trilogie grecque composée de trois mythes antiques : « Oedipe-Roi » (1967) ; « Médée » (1969) ; « Carnet de notes pour une Orestie africaine » (1968-1970). A travers cette trilogie, il va s’attacher à montrer l’intemporalité et l’universalité des mythes : « Qu’on ne tente pas de nous ôter notre foi dans une renaissance prochaine de l’antiquité grecque. ». Il va aussi chercher à pousser son lecteur à se questionner sur lui-même dans le but de lui faire comprendre que les contraintes qu’il croit lui être imposées par la société à travers l’éducation ou encore la famille constituent en réalité des libertés. L’antiquité grecque est, avant tout, pour Pasolini synonyme de renouveau.

Pasolini débute sa trilogie grecque avec le mythe le plus connu et le plus revisité : le mythe d’Œdipe. En effet, en 1968 il sort son film « Œdipe-Roi »tiré de la tragédie grecque du même nom écrit par Sophocle. Son choix de commencer par ce mythe en particulier n’est pas anodin. En effet dès sa plus tendre enfance Pier Paolo Pasolini a été atteint du « complexe d’Œdipe » : il a ressenti des sentiments ambigus pour sa mère, des sentiments qu’il nomme « peurs érotiques ». Il a toujours essayé de s’en éloigner et « Œdipe-Roi » a été pour lui une façon de comprendre ses peurs.
Le film ne suit cependant pas mot pour mot le mythe tel que nous le connaissons, en effet Pasolini l’a adapté y rajoutant même des allusions à sa propre vie. Les scènes vont d’ailleurs prendre place en Italie, à un moment du film les personnes vont même revenir dans la ville natale de Pier Paolo Pasolini. Les changements, entre la tragédie et le film, sont flagrants : dans le film c’est le père biologique d’Œdipe qui annonce lui-même la prophétie et non un oracle, la mère n’est pas aussi amoureuse de son mari et repousse même ses avances en surveillant le berceau de son fils, Œdipe n’est plus aussi héroïque car il triche pendant les jeux du lancer de disque tandis que dans la tragédie il affronte les épreuves sans tricher (épisode de l’énigme du Sphinx).

« Médée » est la seconde tragédie reprise par Pasolini pour sa trilogie des œuvres antiques. Directement inspiré du mythe de Médée (version d’Euripide), le film sort en 1969. Ici aussi il y a une confrontation entre un monde disparu représenté par Maria Callas dans le rôle de Médée, et la modernité de la « polis » (cité grecque) représenté par le personnage de Jason…
Le travail de Pasolini dans ce film n’est pas sans rappeler celui d’Euripide avec la déchirure entre deux époques, deux histoires. A travers ce film le réalisateur confronte les contradictions de son époque à celles du passé. Un parallèle entre deux époques est établi : entre un monde culturellement rural et la modernisation massive d’une société de consommation (capitalisation).
Cette juxtaposition de deux époques (antique et celle de l’auteur) va d’ailleurs se retrouver dans tout le film et en faire l’originalité.

Enfin, pour clore sa trilogie grecque Pasolini sort son film « Carnet de notes pour une Orestie africaine » en 1970, tiré de la tragédie de l’Orestie d’Eschyle.
Il va créer une mise en scène alliant modernité et antiquité, ainsi il va mettre en relation des thèmes antiques dans une époque contemporaine, il va déplacer aussi bien la sémantique de l’œuvre que le spectateur, qui va voyager. En effet, il va y avoir une transposition par la démarche archéologique et ethnologique entreprise par Pasolini faisant de ce film un film hybride mêlant documentaire et fiction dans la mise en scène. Il va interroger les modalités du travail intertextuel entre les textes antiques et leur « actualisation » cinématographique dans le but de traiter des problèmes sociaux de son temps.

Cette trilogie, ne reprenant que des tragédies grecques, est très sombre. Tout de suite après sa sortie Pasolini tournera la « Trilogie de la vie » qui finira elle aussi par une note sombre avec le film : « Salo ou les 120 journées de Sodome », en 1975, un film qui fera scandale pour sa noirceur mais qui sera aussi le dernier film du cinéaste qui meurt la même année.

Lionel Mamode-Issop, Paolo Rodriguez, Daniella Permal-Ellama
TL

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